Une interventions en cours sur une oeuvre du Musée Jacquemart-André de Chaalis

La restauration d'une oeuvre historique est toujours l'occasion d'en apprendre d'avantage sur son histoire matérielle. Celle de ce grand panorama des bords de Seine ne fait pas exception à la règle !

"Vue de la Seine" est une peinture du Musée Jacquemart-André de Chaalis, exécutée au XVIIè siècle d'après une oeuvre du célèbre peintre et graveurJacques Callot. Son format, 1m15 x 2m30, et surtout son sujet, en font une oeuvre exceptionnelle. Rares en effet sont les peintures décrivant avec autant de précision et de vérité le Paris du XVIIème siècle, ses bâtiments remarquables, ses habitants à cheval, en bateaux ou à pieds.  Remarquez à gauche la Tour de Nesle démolie en 1665 pour faire place au Palais de l'Institut, en face le palais du Louvre, et notez que les chevaux pouvaient circuler aux abords de la Seine grâce aux quais en pente douce ! 

Malheureusement depuis plusieurs années les détails savoureux de ce panorama urbain étaient cachés par de nombreux papiers de protection (facings) collés sur la peinture dans les années 80 pour éviter qu'elle ne se détache par petits morceaux. Une fois l'oeuvre à l'atelier la couche picturale a été refixée localement, au travers des facings, par l'apport d'un adhésif réactivé à la chaleur d'une spatule chauffante. Ces refixages effectués, les facings ont pu être délicatement retirés et ... surprise ! L'aspect inhabituel de la sous-couche, jusque là cachée par les papiers, a mis en évidence une page ignorée de l'histoire de l'oeuvre : la peinture a subit une transposition. Ce terme désigne une intervention lourde, trop souvent pratiquée autrefois, qui consiste à remplacer le support originel, ici probablement un panneau de bois, par un autre support, une toile dans le cas de notre tableau. 

Celle qui apparait au revers de l'oeuvre n'est donc pas une toile de renfort (collée au cours d'un rentoilage) comme on le pensait mais c'est le seul support de la peinture ! Et l'instabilité de la couche picturale n'est pas localisée mais généralisée à toute l'oeuvre car elle est la conséquence de ce changement de support. L'intervention à mener ne consiste donc pas à refixer localement quelques soulèvements de matière mais à reprendre totalement la transposition... 
La photographie d'un détail de l'enduit de transposition prise au microscope montre un aspect bien différent des préparations traditionnelles utilisées au 17ème siècle. Ce changement de support est probablement intervenu dans les années 50 du 20ème siècle, l'aspect du châssis et de la toile confirment cette hypothèse mais malheureusement les archives du musée sont muettes à ce sujet.
Nous n'en sommes donc qu'au tout début de l'intervention de conservation-restauration mais nous avons grandement progressé dans la connaissance de l'histoire matérielle de l'oeuvre !